Connaître l'ennemi : un projet sur l'alcoolisme réalisé avec les indiens de Kwamala
En arrivant au village de Kwamalasamutu, à l'extrème sud du Suriname, Wilfrid Lupano, Mayana Itoïz et Laure Garancher, en mission test pour l'organisation mondiale de la santé s'attendaient à travailler avec les habitants sur la prévention du paludisme.
L'immersion comme méthodologie
Mais surprise, après une journée et demi de discussions en groupes de travail, il apparait que le paludisme n'est plus tellement un problème dans la région, la maladie a été bien prise en charge par la mission médicale locale. En revanche, le village est en proie à un fléau non moins redoutable : l'alcoolisme.
Nous le constatons rapidement : la production locale de kassiri, une boisson fermentée à base de manioc a pris une ampleur considérable grâce à l'apparition de broyeurs à manioc électriques. Tout le village consomme, dès l'après-midi, dans des sortes de pubs à ciel ouvert improvisés. Nous y voyons des femmes enceintes, des enfants, nous voyons des mères qui en donnent aux nourissons...
Prudemment, lors des séances de travail avec les membres volontaires du village, nous abordons le sujet : n'est-ce pas là un thème dont il faudrait parler ?
Ménager les sensibilités
La réaction ne se fait pas attendre. Alors que personne n'a mentionné l'alcoolisme lorsque nous avons demandé quels étaient les principaux problèmes de santé rencontrés au village, les langues se délient maintenant. Le chef admet avoir perdu la bataille contre cette habitude. Son autorité est bafouée. Les bagarres, les comas, les accidents ponctuent désormais la vie du village. Des jeunes ont même essayé de l'abattre, une nuit, pris de boisson !
Mais le sujet est délicat. À l'origine, la kassiri est une boisson sacrée, il n'est donc pas question de la bannir. Finalement, tout le monde s'accorde pour décider d'aborder cet enjeu dans notre projet. Comment parler de ce problème sans heurter les sensibilités et faire injure aux traditions ? C'est le témoignage d'un des deux militaires du village qui va nous donner la direction.
Concevoir un scénario compréhensible
Lors d'un long entretien, un militaire nous explique que s'il est devenu soldat, c'est pour apprendre le maniement des "armes des blancs", afin de pouvoir protéger les siens si un jour les blancs reviennent les tourmenter. Enffet, l'histoire du village est jalonné de drames. Les trios et les weiweis qui composent majoritairement la communauté ont fait régulièrement l'objet de massacres et de harcèlement, au Suriname ou au Brésil.
Les villageois ont été impliqué dans toutes les étapes de réalisation de cette bande dessinée : choix des personnages, des costumes, réalisation du storyboard. Nous avons régulièrement montré notre travail, afin de nous assurer que les pages étaient compréhensibles et efficaces.
Il nous dit également qu'aujourd'hui, il a un sentiment d'impuissance, avec son fusil mitrailleur, car il sent bien que son village décline, mais l'ennemi est d'un genre nouveau, il ne peut pas repousser les menaces avec une arme à feu. C'est ce constat qui va nous donner notre point de départ : un jeune garçon qui veut devenir un grand guerrier croise un jour le jaguar dans la forêt. Au lieu de le dévorer, le jaguar le prévient d'un grand danger qui menace le village. Le jeune garçon se met alors à patrouiller en vain dans la forêt. Mais il ne trouve rien, car l'ennemi est déjà dans les murs...
Le projet initial prévoyait que l'OMS assurerait la traduction, l'impression et la distribution de cette histoire mais suite à un retard problématique, c'est une autre ONG, Amazon Conservation Team, qui a assuré cette ultime phase du projet. La BD est disponible en trio.